Il était une fois ... un lotissement

L'histoire de la création de notre lotissement a été présentée en une série de trois articles publiée dans notre journal «Le Riverain».

Première partie, numéro 0, novembre 2004

Les plus anciens d'entre nous se rappellent que, dans les années 1930 lorsqu'ils se sont installés dans le "lotissement" du Parc de Sceaux, les rares villas qui venaient d'être construites étaient entourées de terrains en friche où vivaient de nombreux lapins de garenne. Malgré le prix très raisonnable de 80 de nos anciens francs le mètre carré soit 0,12 euros, les parcelles ne se vendaient pas car la banlieue n'attirait guère les Parisiens. Seules les familles nombreuses dont les enfants iraient au lycée Lakanal, les professeurs dudit lycée, les chauffeurs de taxi et les personnes dont la santé nécessitait l'air de la campagne choisirent d'habiter le Parc de Sceaux.

La publicité vantait la proximité de Paris par le tramway, le chemin de fer de Paris à Arpajon en gare de Bourg-la-Reine et l'omnibus. Mais la capitale paraissait encore lointaine et des chauffeurs de taxis vinrent habiter près de leurs clients, les "banlieusards" que nous étions, sans voiture pour la plupart, la marche à l'époque étant une activité naturelle.

L'argument qui allait attirer les acheteurs était d'ordre esthétique ou plutôt selon un mot d'aujourd'hui environnemental. « Soyez les privilégiés qui habitent en bordure du Parc de Sceaux » était le titre d'une élégante plaquette, éditée par le département de la Seine qui indiquait six motifs d'achat :

  • un cadre merveilleux
  • un air pur
  • le charme des plus beaux panoramas et des promenades magnifiques
  • les plus belles villas
  • les plus beaux jardins
  • un lycée moderne, le lycée Lakanal, où les enfants peuvent poursuivre leurs études dans les meilleures conditions d'hygiène.

Enfin un parc de 150 hectares.

Le texte se terminait par ces lignes : les terrains vendus, dont le prix est extrêmement avantageux, sont le plus sûr et le plus productif des placements.

Ce qui se réalisa.

À l'époque, personne ne songea un seul instant à un futur financier. Ce qui attirait les acheteurs était qu'ils allaient bien vivre dans le calme, loin du tumulte de la ville et que leurs enfants étudieraient paisiblement dans un lycée réputé.

La recherche de cette sérénité devait être celle de Colbert, ministre de Louis XIV, lorsqu'il vint s'installer à Sceaux en 1670 à mi-chemin entre Paris et Versailles, entre la foule et la cour.

Ce sont sur ces terres, dévolues ensuite à son fils le marquis de Seignelay, puis à la duchesse du Maine, au duc de Penthièvre et après la Révolution de 1789 à Hippolyte Lecomte, dont la fille épousa le Duc de Trévise, que nous sommes aujourd'hui.

C'est en effet le Duc de Trévise, grand chambellan de Napoléon III, qui fit construire un château en 1856, à l'emplacement de celui de Colbert, et qui restaura les jardins de Le Nôtre. Une de ses filles Marie Léonie Mortier de Trévise, Princesse de Cystria en hérita.

L'occupation prussienne en 1870 abîma le domaine qui fut délaissé. Après la guerre de 1914-1918 le magnifique parc fort convoité, fut sauvé par le maire de Sceaux M. Berger de Frouville qui réussit à convaincre le conseil général de la Seine de l'acheter.

C'est ainsi que le 11 août 1923, le département de la Seine acheta à la Princesse de Cystria pour 13 millions d'anciens francs, le domaine de 227 ha 72 a 80 ca « joyau de la couronne de verdure et d'art que les anciennes résidences formaient autrefois à l'entour de Paris ».

Désirant sauvegarder ce lieu unique tout en lotissant ses abords, le département élabora un cahier des charges qui fut approuvé par le Conseil Général de la Seine le 29 décembre 1928.

(à suivre)

Paulette Ratier

Deuxième partie, numéro 1, mai 2005

Entre le 11 août 1923, date à laquelle le département de la Seine acheta le domaine de Sceaux à la princesse de Cystria, et l'acte notarié du 19 mars 1930 pour la vente des parcelles du lotissement, plusieurs années s'écoulèrent. Le 9 juillet 1924, le conseil général de la Seine approuva un avant-projet pour la restauration du Parc et la création d'un lotissement. Trois années passèrent. Le 6 juillet 1927, le préfet de la Seine saisit le conseil général d'une convention avec la société d'études de travaux urbains en vue de l'aménagement en lotissement d'une partie du domaine.

Le 13 juillet, M. Grangier, au nom de la commission de l'extension, de l'aménagement et de l'habitation dans la banlieue parisienne proposa au conseil général cette convention qui fut signée par le préfet le 24 novembre. Elle portait sur 86 hectares dont 71 devaient être vendus, le surplus étant aménagé par le département pour valoriser le lotissement. Le 31 décembre de la même année, le conseil général approuva le projet d'une première remise en état du Parc et de ses monuments.

Un an plus tard, le 29 décembre 1928, notre cahier des charges fut définitivement adopté par le conseil général sous le titre " Cahier des charges, clauses et conditions pour la vente des terrains à lotir en bordure du Parc de Sceaux ". Le 19 mars 1930, Maîtres Gustave Bezin et Robert Bonnel, notaires du département de la Seine, dressèrent l'acte notarié comprenant deux parties : le Cahier des charges et l'origine de propriété retraçant la chronologie des attributions successorales après le décès du duc et de la duchesse de Trévise. Cet épais document, manuscrit, fut enregistré au 8e bureau des hypothèques de la Seine le 19 juillet 1930 sous le n° 3217.

Les terrains à vendre furent répartis en 5 sections limitées : au nord par la rue de Houdan, actuelle avenue Franklin-Roosevelt ; à l'est par la ligne du chemin de fer de Paris à Limours, actuelle ligne du RER ; à l'ouest par le chemin de grande communication n°67 ; au nord par le chemin des Glaises, actuelle rue Paul-Couderc ; la partie comprise entre la nationale 20 et la ligne RER.

Pour desservir les terrains à vendre, les tracés des voies furent établis et leur exécution confiée à la Société générale d'aménagement urbain. Il fut spécifié que l'acquéreur de chaque parcelle devenait propriétaire de la moitié de la largeur de la voie le desservant. L'entretien de ces voies et trottoirs étant de ce fait à la charge des acquéreurs. Le cahier des charges prévoyait que la circulation et le stationnement des "voitures non suspendues étaient interdits de même que pour toutes les voitures maraîchères, de cultivateurs, de commerçants, de forains et autres".

Mais le Cahier des charges précisait que lesdits droits de propriété sur les voies et trottoirs cesseraient le jour où les communes intéressées auraient classé ces voies privées en voies publiques, le transfert s'opérant à titre gratuit. A ce moment, "piétons, cavaliers et voitures y auraient librement accès".

La gestion du lotissement, à partir du 20e lot vendu, fut confiée à un syndicat chargé des travaux d'entretien des voies, des canalisations diverses et des plantations. Le syndicat devant également assurer le gardiennage du lotissement. Il cessa d'exister dès que les avenues furent incorporées à la voirie départementale et communale.

En résumé, après l'acquisition du domaine en 1923, sept années furent nécessaires avant que les parcelles du lotissement soient mises en vente, lotissement doté d'un cahier des charges approuvé par le conseil général de la Seine le 29 décembre 1928 et qui fit l'objet de l'acte notarié du 19 mars 1930. Ce long délai s'explique par les propositions successives chaque fois soumises au conseil général mais également par les difficultés rencontrées au sein même du domaine. Ce n'est en effet que le 11 novembre 1928 que le département en eut l'entière jouissance après des années de procédure visant à l'éviction de M. de Brabander, locataire de certaines parties du domaine. Si le Conseil Général décida immédiatement du principe de la création d'un musée historique et archéologique et de l'aménagement de promenades publiques, il s'interrogea sur le fait suivant : fallait-il ouvrir le parc aux pêcheurs et aux chasseurs ? Les pêcheurs eurent gain de cause. La pêche à la ligne flottante ou au lancer fut autorisée mais tout pêcheur ne pouvait utiliser qu'une ligne par permis. Les chasseurs furent rejetés.

A partir de 1928, le département assura le gardiennage du Domaine "sous peine de le voir envahi par des indésirables qui y trouveraient un asile et ne manqueraient pas de se livrer à des déprédations dans les bois et sur les constructions. La surveillance devra même être très sérieuse en raison du fait que de nombreux ouvriers vont effectuer les travaux du lotissement ". M. le conservateur en chef des promenades publiques du département soulignait qu'"il est indispensable d'avoir des gardiens ayant une compétence technique leur permettant de surveiller des exploitations forestières et les reboisements".

C'est alors que le ministre de l'Agriculture détacha au département un brigadier et deux gardes des Eaux et Forêts à charge par lui d'assurer le traitement de ces fonctionnaires ainsi que les indemnités de résidence, de chaussures et de bicyclettes. Des avantages en nature furent alloués qui consistèrent en : un uniforme, onze stères de bois de chauffage et l'hospitalisation gratuite dans les hôpitaux militaires. Le concierge du domaine, qui était là depuis 30 ans et dont les services étaient très appréciés, resta en fonction.

Dans le domaine désormais surveillé, les travaux commencèrent. Les parcelles furent mises en vente à partir de 1930 et le département rechercha des acquéreurs.

La Grande Guerre étant dans toutes les mémoires, Auguste Mounié, maire d'Antony, demanda au conseil général de réserver des lots aux mutilés et réformés avec une réduction des prix et des délais de paiement. Il s'exprima ainsi : "je n'ai pas besoin de vous dire, Messieurs, l'intérêt que ma proposition présente pour une catégorie de la population à l'égard de laquelle nous sommes tenus à des obligations de reconnaissance que pas un seul de nous ne songe à renier".

Le conseil général adopta la proposition d'Auguste Mounié.

On ne sait s'ils furent les premiers acquéreurs mais dès 1930, les nouveaux propriétaires d'une partie de ce domaine historique où avaient vécu d'illustres personnages, de Colbert au duc de Trévise, constituèrent "l'Association des Riverains du Parc de Sceaux" - association soumise à la loi du 1er juillet 1901 - qui fut déclarée à la préfecture de Paris le 4 septembre 1930.

(A suivre…)

Paulette Ratier

Troisième partie, numéro 3, juin 2006

Le 19 mars 1930 Mes Gustave Brezin et Robert Bonnel, notaires du département de la Seine établirent l'acte notarié qui serait remis à chaque acheteur des parcelles du lotissement. Cet acte comprenait d'une part, l'origine de propriété - qui était celle du château du Domaine de Sceaux -, d'autre part le Cahier des Charges qui avait été approuvé par le Conseil Général de la Seine le 29 décembre 1928.

Ce lotissement qui bénéficiait de toutes les garanties de sérieux qu'offrait le Département, attira des familles nombreuses désireuses d'être proches du très réputé lycée Lakanal. En effet, il n'était pas rare à cette époque de compter 4 ou 5 enfants voire plus, par famille. De ce fait, les villas se devaient d'être grandes. Chacun faisait appel à un architecte de son choix, lequel se conformait au Cahier des Charges qui spécifiait que les villas étaient uniquement destinées à l'habitation bourgeoise et individuelle. Seule une mince bande de terrain était réservée le long de la route de Paris à Orléans (actuelle Nationale 20) aux maisons "de rapport".

Dès l'origine, on nota une variété de styles, bien que le genre normand avec toit en petites tuiles et colombage dominât. L'une des premières villas, et qui reste à ce jour la plus grande du lotissement, fut construite avenue Le-Nôtre par un entrepreneur du bâtiment qui mit un soin particulier à recréer ce style. On citait à l'époque la beauté et la qualité des matériaux choisis.

Des architectes de Sceaux et des communes voisines tels Lacombe, Loiseau, Petit… dessinèrent la plupart des maisons, solidement construites en meulière ou en brique pleine. Les murs étaient épais, les fenêtres classiques. Quelques rares familles firent appel à de grands architectes parisiens : Pol Abraham, Henry Bertrand Arnoux, Bruno Elkouken, Robert Mallet-Stevens, Auguste Perret, Pierre Prunet. Ces noms marquèrent la période 1920 - 1940.

Celle-ci vit naître des conceptions qui révolutionnèrent l'architecture. S'éloignant des décors en arabesque de "l'art nouveau" de la fin du XIXe, les architectes Wagner et Hoffman en Autriche, Gropius en Allemagne, Scott en Grande Bretagne, Mackintosh en Écosse, dessinèrent des formes géométriques simples, épurées, des toitures-terrasses aux décrochements successifs, des fenêtres pour la première fois horizontales. On fit entrer la lumière. Ce fut la théorie de la ligne droite, de l'arête vive. On parla d'architecture rationaliste et constructive. L'ossature métallique ou en béton permit toutes les audaces.

En France, bien qu'Auguste Perret ait utilisé dès 1920 le béton, cette nouvelle architecture ne prit de l'extension qu'après la Première Guerre mondiale. Les années vingt virent alors le succès de ces formes cubistes et dépouillées. L'art en fut bouleversé. Peintres, sculpteurs, artisans d'art, présentèrent à l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels de 1925 des œuvres stylisées, fort appréciées de nos jours. L'Art Déco naissait qui allait se démocratiser avec l'Exposition Coloniale de 1931 et l'Exposition des Arts Techniques de 1937.

Paris était alors la capitale européenne de cette architecture moderne d'autant qu'en 1933, la célèbre école du Bauhaus en Allemagne fut fermée par ordre d'Hitler, imposant aux artistes de s'exiler. Si les œuvres de la période Arts Déco sont, de nos jours, appréciées de quelques collectionneurs et amateurs d'art, l'architecture demeure la partie la plus connue car elle est partout visible. En 1921, Paul Valéry dont des phrases sont gravées au fronton du Trocadéro, écrivait dans "Eupalios ou l'architecte" : "De tous les arts, l'architecture est l'art majeur".

Or, nous avons, dans notre lotissement, le privilège exceptionnel d'avoir plusieurs villas construites par ces grands architectes de la période Arts Déco. Étant donné l'importante exposition qui a eu lieu l'an dernier au Centre Pompidou en hommage à Robert Mallet- Stevens, nous parlerons en premier de la villa construite par cet architecte au 5, avenue Le- Nôtre en 1932. Reposant sur pilotis, elle se caractérise par des baies qui courent le long de la façade. Un escalier extérieur permet d'accéder du premier étage à la terrasse. Des auvents sur la rue, des fenêtres rondes à l'arrière apportent des éléments qui adoucissent la rigueur de la construction. Récemment remise en état, elle attire les regards de ceux qui aiment cette période.

Qui était Robert Mallet-Stevens ?

Né le 24 mars 1886 à Paris, mort le 8 février 1945, Robert Mallet-Stevens fut influencé par les précurseurs de cette nouvelle architecture, celle de Wagner et de Hoffmann à Vienne, avant de créer son propre style, plus incisif. Certaines villas furent de véritables palais Arts Déco telles la villa du Comte de Noailles, à Yères, ou celle de l'industriel Cavroix, à Croix. Robert Mallet- Stevens ne fut pas seulement un architecte de renom mais également un grand décorateur, créant un mobilier d'avant-garde tout en faisant appel aux meilleurs artisans et artistes de l'époque. En 1920, celui-ci avait d'ailleurs fondé l'Union des Artistes Modernes.

Sa célébrité était telle qu'une rue du XVIe arrondissement à Paris, dans laquelle il avait édifié cinq hôtels particuliers, fut inaugurée à son nom. Il créa des décors de films, décora des paquebots. Très en vogue, il participa à tous les grands concours et expositions et à la veille de la Seconde Guerre mondiale réalisa plusieurs pavillons pour la dernière exposition internationale des Arts Déco en 1937 dont celui de "l'électricité et de la lumière" et celui du "café du Brésil" en verre et en acier chromé.

Réfugié en Provence, il revint à Paris pour y mourir en 1945, laissant une œuvre d'esthète, celle d'un architecte raffiné pour qui l'art de vivre était l'essentiel. La villa de l'avenue Le-Nôtre est la plus petite de celles conçues par Robert Mallet-Stevens. Mais elle est peut-être la plus séduisante car elle reproduit dans ses élégantes proportions toutes les caractéristiques qui étaient chères à ce maître des Arts Déco des années 30.

Paulette Ratier